Attachement ou dépendance affective ?

Quand l’autre devient le centre de notre monde…

Notre relation à l’autre (conjoint, parents, enfants, etc.) peut-elle aboutir à l’épanouissement affectif et au bonheur quand celle ci est alimentée par la peur de perdre son amour, que la peur de déplaire corrompt notre authenticité ?

De la complétude à la plénitude

La complétude relationnelle ne signifie pas obligatoirement l’équilibre et l’épanouissement personnel ! L’apparent équilibre de la relation ne résout pas nos failles individuelles, bien au contraire, elle les révèle au fur et à mesure. En effet, chacun se lie inconsciemment par des personnalités qui, tel un pansement, ont la faculté de compenser ses manques. Plus le sentiment de manque est prononcé (exemple : le manque d’estime de soi, derrière lequel se cache un profond sentiment de manque de reconnaissance) et plus l’être aimé est idéalisé (même s’il s’agit d’une relation mère-fils, frére-soeur, etc.) : on le met sur un pied d’estale ! Par « sacralisation » (sans toi je ne suis rien), le conjoint, parent, enfant, etc.  est ainsi celui à qui l’on donnera tout pouvoir.

Mais la personne en lien fusionnel en attendra autant en retour, jusqu’à en noyer ses besoins à la faveur de l’autre, afin de se sentir valorisée et reconnue.

C’est ainsi que se révèle la souffrance, car à moins de rencontrer une personne ayant le même trouble, cette attente incommensurable ne sera jamais comblée ! Elle risque de devenir un si lourd fardeau à qui se sent étouffée par les besoins d’amour et de reconnaissance de l’autre, que celui-ci pourrait finir par le rejeter.

La désillusion risque d’être des plus violentes pour celui qui a tant donné de sa personne pour être aimé.

De l’attachement affectif ou amoureux au déni de soi !

Nous avons tous notre part de dépendance affective. Mais quand cet attachement sentimental devient envahissant au point d’influencer nos prises de décision, ce que nous sommes et faisons au détriment de notre intégrité, il devient un réel trouble de la personnalité (qu’il est souvent difficile, dans un premier temps, de reconnaître). Ceci pouvant aller dans certains cas, jusqu’à se couper de tout lien autre que cette relation fusionnelle, voire conduire jusqu’à l’autodestruction (tentative de suicide, mutilation, alcool, etc.).

« Qu’est-ce que je vais devenir sans toi ? »

« Sans toi, je ne suis rien »

« Sans toi, ma vie n’a pas de sens »

En effet, l’attachement se construit sur un manque. Quand le manque se fait trop sentir, il devient besoin impérieux, jusqu’à devenir addictif, perçu comme l’alimentation affective (vitale) nécessaire à notre survie. L’amour et la présence de l’autre deviennent ainsi la nourriture absolue dont il nous paraît impossible de se passer.

Mais l’addiction à cette nourriture affective engendre de multiples stratégies afin d’obtenir l’amour et l’estime de l’autre ou ne pas les perdre. Nous nous coupons ainsi de nous-même au bénéfice des besoins et attentes de l’être qui nous est si chère.

Au lieu de se laisser nourrir par les interactions avec le monde dont nous faisons partie, le centre de notre attention n’est plus focalisé que sur le monde de l’être aimé, son regard, ses désirs, son amour…

Ce qu’il faut bien comprendre c’est que le dépendant affectif vit à travers les yeux de l’autre. Dans sa construction, l’estime de soi a été affecté, qu’il s’agisse d’un sentiment d’abandon (réel ou symbolique) ou de dévalorisation (comparaisons entre frères et sœurs, perfectionnisme, pressions psychologiques, etc.).

Il y a deux types de dépendants affectifs, les uns sont dans le « donner » et les autres dans le « recevoir »

Donner : toujours combler et satisfaire l’être aimé, se fondre dans son désir (en déniant ses propres besoins). Tout faire pour se rendre toujours plus indispensable à l’autre. Rapport fusionnel à l’autre.

Recevoir : l’autre nous satisfait un temps jusqu’à s’apercevoir qu’il n’est jamais à la hauteur de nos besoins affectifs. A la recherche du toujours mieux, de l’auditoire admiratif, du partenaire rêvé, de l’amour passionnel, etc. Séducteurs sincères aux relations dispersées et instables.

Sur le plan amoureux, le dépendant affectif attire ainsi parfois des êtres ayant les mêmes besoins béants d’amour et d’attention que lui. Mais dans sa détresse, il attire aussi souvent, des personnalités de type « sauveurs » ou encore de type « manipulateurs » :

  •  Les sauveurs ont tendance à étouffer l’oiseau blessé à trop vouloir le protéger et l’enfermer dans des schémas de comportements dont celui-ci aura la crainte de sortir. Le problème est que le dépendant affectif risque d’entretenir inconsciemment une facette de victime, fragile et vulnérable, pour entretenir l’attention de son sauveur. L’étouffement involontaire et « salvateur » que peut générer le sauveur peut être interprété comme une passion assouvissante qui engendre une relation fusionnelle. Il est à noter que de son côté, le sauveur cherche à se sauver lui-même à travers l’autre.
  • Les manipulateurs (ayant eux même des blessures béantes) en besoin perpétuel de valorisation, sont dans un hyper-contrôle de leur vie et de leur entourage (subtile domination…), renforceront la confusion affective et le déni de soi, en incitant implicitement l’autre au dévouement sans limite. Leur moyen de domination passera par des comportements alternés aussi déconsidérant qu’aimant. Ils sont tantôt adorable et « beau prince », tantôt cassant voire humiliant. Ces attitudes induisent la soumission affective, agrandissant en l’autre le besoin incessant d’être rassuré de toutes les manières possibles.

Les manques du dépendant affectif s’agrandissent ainsi peu à peu dans ce cercle vicieux relationnel dont il est difficile de sortir sinon par un choc de conscience !

Mais souvent, ce sera le trop plein de souffrances qui génèrera l’élan et la volonté pour se délivrer de ce poison fusionnel.

Le facteur VOLONTÉ est primordial au cheminement vers cette délivrance. Il est donc nécessaire de faire un travail de conscientisation, avec bienveillance et tolérance envers soi-même. Ce n’est qu’en se reliant à soi-même que l’on peut entrevoir un horizon de plénitude avec l’être aimé, épanouissant, profond et équilibré…

Cheminement et libération

Il est d’abord nécessaire de reconnaître pleinement sa dépendance affective ! (voir les listes ci-dessous)

Cette première phase permettra ensuite de se retourner vers soi pour laisser monter ses peurs profondes et ses ressentis, afin de les reconnaître en conscience : lutter contre ses peurs, en cherchant désespérément un soulagement à travers le regard et l’approbation de l’être aimé est vain !

Il est aussi nécessaire d’apprendre à exprimer ses peurs, ses émotions et ses besoins affectifs, en acceptant l’idée qu’ils ne pourront sûrement pas être intégralement satisfaits : l’amour idéal des contes de fées est utopique !

A ce stade la honte de ses propres besoins fait souvent obstacle. Mais camoufler sa honte n’aide en rien ! Mieux vaut parfois se faire accompagner pour apprendre à les exprimer dans un climat de non-jugement…

Accepter que nous ne pouvons être parfait, ni pour soi ni pour l’autre, l’humilité a du bon ! Apprendre à s’estimer pour ce que l’on est, simplement.

D’une façon générale, un travail pertinent sur l’estime de soi est indispensable pour redécouvrir ses forces tout en acceptant ses failles, vers le détachement du jugement et du regard de l’autre pour mieux s’accomplir…

Pensées et attitudes récurrentes pouvant faire montre d’une dépendance affective

  • Peur de perdre l’autre, de perdre son estime, son amour, l’impression de n’être plus rien si tel était le cas !
  • Peur de ne pas être à la hauteur de la relation, de l’autre « je ne te mérite pas »
  • Changer de partenaires régulièrement, à la recherche de l’amoureux-transit, de l’auditoire « fan », du regard ébloui, etc. En séduction permanente !
  • Justifier, excuser ou minorer toutes les attitudes chez l’être aimé
  • Le mettre sur un pied d’estale, le sacraliser : « tu es tout pour moi », « Qu’est-ce que je vais devenir sans toi ? », « Sans toi, je ne suis rien », « Sans toi, ma vie n’a pas de sens » etc .
  • Etre toujours d’accord avec lui ou elle
  • Paniquer s’il n’est pas possible de le joindre, s’il est loin…
  • Souhaiter tout faire avec l’autre
  • Le laisser décider pour soi

 Facteurs déclencheurs possibles

  • sentiment d’abandon et de rejet : parent manquant (décès, absence, travail…)
  • Le chantage affectif explicite ou implicite (lui montrer plus d’amour parce qu’il a eu une bonne note !)
  • dévalorisation – culpabilisation
  • Enfants très infantilisés (sans sa mère ou son père il ne peut rien, peur de leurs réactions)
  • Besoins affectifs insatisfaits : enfants qui n’ont pas assez été regardés, écoutés, touchés, ou avec des comparaisons entre frères et sœurs…
  • Le perfectionnisme : lui mettre trop la pression pour qu’il soit « à la hauteur », lui demander d’être toujours au top, le meilleur, le premier, le plus intelligent, le plus fort… Dévalorisation voire humiliation si ce n’est le cas. Valorisation affective dans l’effort et le sacrifice de soi.
  • Faire sentir à son enfant qu’on a besoin de lui pour se sentir important ou à contrario : rendre l’enfant coupable de son mal être ou l’impliquer dans son mal être
  • Le parent victimiste, donnant toujours l’impression qu’il risque de disparaître, de mourir ou de se suicider
  • Culpabiliser l’enfant s’il n’est pas  « au petit soin » de ses parents ou de la fratrie
  • émotions et sensibilité réprimées voire étouffées, dérangeantes ou considérées comme marque de faiblesse, au profit de l’efficacité, de la sécurité ou d’une « bonne ambiance » (soumission émotionnelle !)

 Vers un amour conscient…

Une prise de conscience sincère de notre fonctionnement affectif est le début du chemin. Et bien que cela semble parfois insurmontable, il est possible de sortir de l’amour aliénant. Certains diront : « mais c’est beau, c’est passionnel, c’est ça l’amour fou, le vrai », mais n’est-il pas plus beau d’ouvrir la cage de l’oiseau et lui laisser l’opportunité de nous découvrir sans lui imposer nos barreaux passionnels ?…